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Entretien avec Justine BRETON : The Witcher

Dernière mise à jour : il y a 3 jours





Comme moi, vous vous demandez peut-être comment la saga du Witcher d’Andrzej Sapkowski (le Sorceleur, en français), popularisée par une série de romans, publiée entre 1986 et 2024, avant d'être déclinée en jeux vidéo et série télévisée à succès, a pu devenir un objet d’études universitaires.

 

Réponse de la très sympathique et dynamique Justine Breton, Docteur en littérature médiévale à l'Université de Lorraine :

 

Capucine Buck : Pourquoi ou comment avez-vous été amenée à mener un travail universitaire sur The Witcher ? Autrement dit, comment The Witcher devient-il un sujet d’études universitaires ?

 

Justine Breton : Ces questions sont extrêmement larges, et il serait possible d'en parler pendant des heures. Pour faire bref, les littératures de l'imaginaire (surtout science-fiction et fantasy) ont commencé à vraiment faire leur entrée dans la recherche universitaire au cours des années 2000, suivant la vague d'ouverture au grand public qu'a connu la fantasy - avec les romans Harry Potter à partir de 1997, puis les films dès 2001, les adaptations du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson, à partir de 2001, etc.

 

Cela s'est fait sur plusieurs « fronts » en France : d'une part dans les études liées à l'enfance et à la littérature de jeunesse (des études qui se développent aussi énormément depuis les années 1990), et d'autre part par la littérature comparée, un autre domaine de l'université. Cela permet notamment de donner de l'ampleur à un mouvement universitaire encore balbutiant, le médiévalisme, qui apparaît en France dès les années 1970, mais qui doit attendre les années 2000 pour avoir ses propres recherches universitaires (avec notamment l'association Modernités médiévales consacrée au sujet, et fondée en 2004).

 

En parallèle, les sciences de l'information et de la communication, et notamment le versant des « Media studies » importé des pays anglophones, se développe aussi. On assiste à un déplacement de la « culture geek », qui de sujet spécifique et un peu caché, voire honteux, devient un sujet mainstream, y compris dans la culture populaire grâce à des productions à grand succès, comme The Big Bang Theory, ou plus récemment Stranger Things.

 

On se met donc de plus en plus à étudier des productions culturelles variées, y compris celles considérées comme « mineures » ou « de mauvais genre ». Cela se fait toutefois très progressivement, et c'est plus facile dans certaines disciplines universitaires (sciences de l'info-com, littérature et civilisation anglophone, études culturelles notamment) que dans d'autres.

 

Et pendant ce temps, les séries télévisées (notamment) gagnent leurs lettres de noblesse depuis la fin des années 1990, avec de grands scénaristes et des productions qui osent prendre des risques (c'est l'époque de The Wire, des Sopranos, puis de Breaking Bad et autres). Voir à ce sujet le passionnant livre de Benjamin Campion sur la façon dont HBO a œuvré à cette « élévation » des séries : https://pufr-editions.fr/produit/le-concept-hbo/ 

 

Il faut globalement attendre la fin des années 2010 pour que, en France, le fait d'étudier les séries ne soit plus considéré comme « problématique » ou « honteux », du moins à peu près partout. Il existe maintenant des collections universitaires entièrement consacrées aux séries télévisées, comme la collection « Serial » aux Presses universitaires François-Rabelais, que je recommande vivement.

 

Il reste encore des défis, notamment de montrer qu'une série ne doit pas forcément être dramatique pour être « de qualité » ni digne d'intérêt - les comédies, les productions pour enfants, et l'animation sont traditionnellement moins bien considérées que les œuvres dites « sérieuses » et en prises de vue réelles. Mais nous y travaillons !

 

Bref, grâce au travail de précurseurs dans le domaine, j'arrive au moment idéal pour étoffer tout un champ de recherche sur la fantasy et le médiévalisme, et notamment me faire plaisir avec The Witcher, au terme de dynamiques complexes mais qui marquent un réel tournant dans la culture grand public au début des années 2000, et qui influent doucement mais sûrement l'université et la recherche.


Pour aller plus loin, consultez la vidéo de l'émission Histoire en séries consacrée à The Witcher, avec Justine Breton (https://www.youtube.com/watch?v=FoX5DEcDZAA) et rendez-vous les 14 et 15 juin 2025, au Salon du livre de Sarrebourg.

 

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